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« Les Restos du cœur : enfoiré de récit ! » - Tribune d'Elsa Da Costa, Ouest France

This article originally appeared on Ouest France

Après une forte mobilisation médiatique, l’appel de fonds des Restos du cœur a été entendu. Tant mieux.

Cet épisode nous en rappelle un autre. Celui du 26 septembre 1985, jour où Coluche lance l’initiative expliquant qu’il cherche à faire financer 3 000 couverts par jour. Entre-temps, 25 ans se sont écoulés. Les 3 000 repas par jour se sont transformés en 390 000 distribués par 70 000 bénévoles réguliers. Une croissance à 3 chiffres à faire rêver toutes les start-up d’alimentation saine et durable. Humour noir.

Qui peut décemment se satisfaire que les Restos du cœur nourrissent aujourd’hui 1 million de personnes dont plus de la moitié a moins de 25 ans ?

L’homme le plus riche du monde, Bernard Arnault, vient de débloquer 10 millions d’euros pour aider l’association. D’autres lui ont emboîté le chéquier. Pourtant, face aux 10 millions collectés en 48 heures, il n’y a pas de « mieux vaut tard que jamais » qui vaille.

Car, nous avons collectivement accepté de pérenniser ce qui était au départ, provisoire, palliant une urgence sociale. Et nous avons favorisé la déresponsabilisation de l’État à traiter les causes profondes de la précarité alimentaire. Elle ne fait que s’épandre au fil des années. La question n’est pas « pourquoi n’a-t-on pas aidé plus massivement les Restos du cœur », mais plutôt « comment est-il possible de constater une telle croissance des bénéficiaires en 25 ans » ?

Les raisons demeurent multifactorielles, pour n’en citer que quelques-unes : système économique obsolète qui ne cesse de creuser les inégalités, mondialisation de l’économie qui déclenche l’inflation, absence de récit régulier sur la réalité des associations dans les médias qui favoriserait une prise de conscience permanente des enjeux sociaux.

Précarité masquée

Depuis 25 ans, les Restos du cœur se sont installés dans notre paysage. Grâce à la personnalité forte, libre et fédératrice de Coluche. Puis par une mobilisation inédite, sérieuse et responsable. Néanmoins, malgré eux, les Restos sont devenus un « marronnier médiatique ». Un rendez-vous, une fois par an, à grands coups de divertissement. Tout cela, pour le bonheur de 7 millions de téléspectateurs ébahis par la beauté et la convivialité d’un concert davantage que par l’absence de sobriété des costumes et des tableaux.

Malgré lui, le récit des Restos du cœur s’est non seulement glamourisé mais institutionnalisé dans nos têtes. Au départ, sans doute pour de bonnes raisons. Sauf qu’au fil du temps et des titres des albums, le concert des enfoirés a instauré une dichotomie entre l’image de la cause véhiculée par ses moyens de défense et la réalité de la cause elle-même si peu montrée lors de l’évènement. Une forme de paradoxe qui contribue à la situation de l’association que le discours récent de son président ramène au réel.

L’idée n’est pas de blâmer les moyens utilisés, mais les impacts indirects qu’ils peuvent induire. Parfois, ce qui pourrait être une solution contribue malgré elle à entretenir le problème. Les téléspectateurs attendent leur concert annuel en effectuant un don sans s’indigner régulièrement de la situation.

L’État ubérise la solidarité, se focalise sur d’autres sujets, et se déresponsabilise en n’attaquant pas les causes profondes du problème de la précarité alimentaire se satisfaisant d’un dispositif curatif en place. Et les plus précaires toujours plus nombreux continuent à faire la queue devant les restos. Tout s’aggrave. Jusqu’à la prochaine crise. Les récits influencent les décisions et les priorités. Et la transformation de la société est surtout un enjeu de récit.

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